Relation internationale : La théorie réaliste à l’épreuve du conflit de la République Démocratique du Congo

Par Manassé DAKWA NTANGU, Expert en négociation diplomatique 

Le conflit de la République Démocratique du Congo échappe presque aux théories de la guerre et de la paix, longtemps mises en avant par les réalistes qui mettaient l’Etat au centre de la conflictualité. La guerre était synonyme de mobilisation des armées nationales et l’Etat avait le monopole de cette violence légitime. L’Etat a toujours été considéré comme l’unique acteur reconnu par les réalistes dans les relations internationales tandis que les néo-réalistes, s’ils reconnaissent l’existence d’autres acteurs, considèrent l’Etat comme l’acteur principal. 
Pendant longtemps, cette conception stato-centrée des relations internationales a
servi de base pour analyser les phénomènes de la guerre et de la paix pendant la guerre froide.
Depuis 1989, avec la fin de la guerre froide, tout a basculé. Le conflit idéologique a cédé sa place aux conflits de toute nature, notamment avec l’explosion de l’ex-Yougoslavie et de l’ex-Union Soviétique « alors que bon nombre d’observateurs pronostiquaient après la guerre froide un monde post-moderne issu du double triomphe de la paix et de la démocratie»
constate, à juste raison, Pascal Chaigneau. 

Les conflits internes existaient bien avant la fin de la guerre froide « en Inde, au Sri Lanka, au Soudan, dans la corne de l’Afrique, au Burundi,
au Pérou, au Kurdistan et dans d’autres lieux », mais ils étaient souvent considérés comme
marginaux, sans importance. De l’avis de Marie Claude Smouts, la trentaine de conflits après
la guerre froide relève des guerres civiles, en dépit des guerres étatiques entre le Pérou et l’Equateur, l’Erythrée et le Yémen, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Harbom, Högbladh et Wallensteen ont indiqué : « depuis 1989, parmi les 121 conflits en 81 lieux différents, 7
seulement sont des conflits interétatiques». 
Cette prolifération des conflits internes est analysée par une grande majorité des spécialistes des relations internationales comme étant
liée directement à la fin de la guerre froide. C’est ce qui a, d’ailleurs, fait dire à John Mearsheimer que le monde regrettera la fin de la guerre froide, car elle permettait de mettre
de l’ordre à l’anarchie du système international Cependant, il faudra signaler que beaucoup de conflits internes post-guerre froide n’ont rien à voir avec la fin de la bipolarité. Pour Didier Bigo, un petit nombre d’auteurs soutient que ce n’est pas la dérégulation du système international qui a présidé aux
modifications des formes de la violence mais plutôt « la difficulté qu’éprouve l’Etat contemporain à remplir les fonctions que lui assigne la tradition philosophique, et en particulier celle du monopole de la violence sur son territoire». 
Les conflits internes
démarrent pour la plupart à cause de défaillances structurelles qui sont l’implosion de l’Etat,
le marasme économique, la discrimination politique ou économique et les revendications
ethniques. Cette crise de l’Etat a amené des acteurs non étatiques que la théorie réaliste ne reconnaissait pas comme des acteurs des relations internationales à s’imposer par une
nouvelle forme de violence, particulièrement meurtrière. Ce nouveau visage des conflits donne à la guerre congolaise toute son originalité. Jadis, le pays a été un terrain de
confrontation entre les deux grandes puissances, pendant la guerre froide, mais le conflit qui s’y déroule actuellement n’a pas de rapport direct avec la guerre froide encore moins avec sa fin brutale. Il s’agit de la faillite d’un Etat déstabilisé, de surcroît, par ses voisins qui convoitent ses territoires et ses ressources économiques au nom de la lutte pour la démocratie
pour ce qui concerne les mouvements rebelles nationaux (RCD et MLC) et de la sécurité pour
les pays voisins (Rwanda, Burundi, Ouganda). Il serait aussi opportun de préciser que le
conflit de la République Démocratique du Congo n’est pas un conflit purement ethnique même si certains analystes s’empressent d’évoquer aussi facilement la donne ethnique quand
il s’agit des conflits africains.
En somme, le conflit de la République Démocratique du Congo est un conflit non idéologique impliquant des acteurs étatiques et non étatiques avec des revendications
politiques cachant un agenda économique. Ce qui le rend, dès lors, inclassable dans une théorie générale, mais il peut trouver sa signification dans plusieurs théories locales. Ce qui
importe, c’est de trouver dans les théories locales des éléments permettant d’éclairer la
problématique et d’appuyer les solutions que nous proposons pour la résolution de ce conflit.

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